Dans Récit d’enfance : leur passé d’aujourd’hui, nous partons à la rencontre de personnes pour les questionner sur leur enfance et leur éducation. Au travers de six questions simples, nous avons interrogé plusieurs dizaines d’hommes et de femmes. L’occasion, à chaque entretien, de découvrir le passé de l’invité et son influence sur son présent.
Aujourd’hui, nous rencontrons Gérard – 68 ans. Ce grand reporter qui sillonne les terrains de conflits du monde entiers, revient sur Mai 68 : une période clé de sa jeunesse. Il y rencontre une nouvelle famille : un parti politique. Il évoque aussi l’autocentrisme des Français, les avantages et inconvénients de son métier.
Les entretiens sont retranscrits dans leur intégralité : nous avons pris le parti de conserver les mots choisis par les narrateurs… et parfois leur franc-parler !
Gérard – 68 ans
5 mots : Quels sont les cinq mots qui décrivent votre enfance, et pourquoi ?
Pour moi, il y a trois périodes. La première est celle de la petite enfance où j’ai des souvenirs d’une famille plutôt aimante, plutôt sympathique, plutôt cool pour résumer les choses et dire un terme à la mode. Durant cette période, on vit à Paris. C’est une famille de la petite bourgeoisie. Ma mère ne travaille pas, elle est à la maison. Elle a une formation de couturière, mais elle reste à la maison pour nous élever. On a des parents qui nous poussaient à faire des études, alors qu’eux n’en ont pas forcément fait beaucoup, puisqu’ils ne sont pas allés plus loin que le certificat d’étude. Ils ont comme ambition qu’on puisse arriver dans la vie avec un bon travail. Ce sont des enfants de la guerre, évidemment, ils veulent que l’on ne manque de rien.
La deuxième période est celle des débuts des années soixante où c’est une sorte de révolution culturelle qui se prépare en France, mais pas que : c’est aussi vrai en Europe, en Amérique, plus généralement dans les pays d’Occident. C’est la période de la musique pop, des Beatles, des Rolling Stones. Cela correspond à mes premières sorties avec des filles, en bande : on appelait ça des surprises-parties à l’époque. Ce sont tout simplement des soirées, mais qui avaient lieu dans l’après-midi. Ce sont les premières découvertes de l’amitié avec les uns et les autres, la découverte des premiers amours.
Enfin, la troisième période marque une rupture. C’est l’année 1968. Ce fut une rupture surtout en France, à Paris. Cette période correspond à un engagement total de ma part. Je suis devenu un militant d’extrême gauche, un trotskiste. À ce moment-là, je bascule dans une autre vie. Je découvre une nouvelle famille qui est celle des trotskistes, de l’extrême gauche, de l’expérimentation sociale, politique et amoureuse, de la vie en communauté. Ce n’est pas une rupture brutale, mais c’en est une avec la famille.
Ma famille était de gauche, mais je considérais que tout ce qui n’était pas d’extrême gauche était pourri, n’était pas valable. C’est aussi la période de l’adolescence. Je termine cette étape par une rupture, une affirmation personnelle de moi-même et qui fait que je découvre une autre famille. Une famille avec des gens de mon âge, qui pensent comme moi, et qui considèrent que demain on dominera le monde, que tout le monde appliquera ce que l’on pense et que l’on est les meilleurs à défendre les meilleures idées. Cela représente une rupture, mais dans des bons termes.
C’est une période d‘enthousiasme et j’ai gardé cet esprit, même si je n’ai pas conservé les mêmes idées politiques. J’ai gardé cette idée d’enthousiasme : c’est l’idée qu’un autre monde est possible, que les carcans, les systèmes tels qu'on les imagine, n’évolueront jamais, car cela a toujours été comme ça, que tout cela n’est pas vrai, qu’en réalité, du jour au lendemain, on peut vivre autrement, qu’on peut avoir d’autres relations avec les gens. Moi, j’ai vécu ça – de façon toute petite, parce que c’était au niveau de moi et quelques-uns : on n’était pas non plus des millions – j’ai vécu un monde autrement. Pendant peu de temps, mais pendant un certain temps. Je pense donc qu’un autre monde peut exister. Cet enthousiasme, cette espèce d’utopie avec un grand U, je l’ai gardé.
Pour finir, un des mots serait amour. C’est l’amour. C’est le rapport à l’autre. Ce que j’ai gardé d’essentiel c’est le partage. Le respect pour l’autre est important. On le doit aux femmes, aux juifs, à toutes les couleurs de peau, ou à l’homosexuel… Je pense que c’est un critère qui m’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui. Quand je suis avec quelqu’un et que je me lie d’amitié avec lui, savoir ce qu’il pense des juifs, des homosexuels ou des noirs est quelque chose de rédhibitoire dans l’amitié. Je pense que l’on peut avoir des divergences de bord politique, c’est pour moi secondaire par rapport à ce lien qui fait que l’on a le même rapport à l’autre, ainsi que le même respect pour l’autre. Je pense que j’ai appris cela dans cette expérience de l’année 68. Pour moi, cette année fut fondamentale dans ma vie.
Quand je dis mai 68, ce n’est pas le mois qui m’a marqué, c’est toute une période. Elle a marqué toute ma vie et je pense qu’elle continuera à me marquer jusqu’à ma mort parce qu’elle est tombée dans mon adolescence, j’avais seize ans. À cet âge, on croit tout savoir, c’est en vieillissant qu’on s’aperçoit que l’on sait peu de chose. Au moment où l’on croit que l’on sait tout sur tout, et que l’on pense que l’on peut prendre le pouvoir et changer le monde, c’est formidable ! C’est la meilleure psychanalyse que l’on puisse rêver. Cela m’a évidemment marqué. Je pense que les gens qui ont vécu mai 68 à quarante ans n’ont pas été marqués de la même façon que ceux qui l’on vécu à seize ans comme moi.
Regret : Est-ce qu’il y a une chose que vous auriez voulu changer à votre enfance ?
Je n’aurais rien voulu changer à mon enfance. De façon générale, si je devais revivre ma vie, je la revivrais. J’ai eu énormément de chance dans ma vie. Cependant, je pense que la chance, ça se gagne aussi. C’est aussi un tempérament. On dit de certaines personnes qu’elles n’ont pas de bol, elles vont d’emmerdement en emmerdement, qu’elles les collectionnent. Je dirais pour moi, que je n'ai collectionné, tout au long de ma vie, que du bonheur.
Je ne suis pas devenu millionnaire, mais je dois dire que c’est le cadet de mes soucis parce que par rapport à ce que j’ai vécu, je n’ai pas envié les millionnaires. Si j’avais été millionnaire, je n’aurais pas vécu tout ce que j’ai pu vivre. J’ai eu beaucoup de chance et si c’était à refaire, je le referais sans hésiter.
Éducation : Quelle critique positive et ou négative pouvez-vous faire de votre éducation ?
La critique positive vient du fait que mes parents viennent de la génération d’après-guerre. C’est la génération qui a connu la guerre. Quand on est né, au début des années cinquante, la guerre était terminée depuis six ans.
Mes parents n’avaient qu’une idée en tête, c’était qu’on vive le mieux possible, qu’on soit le mieux protégé possible, qu’on ne connaisse pas les restrictions alimentaires qu’ils ont connues, la peur qu’ils ont pu avoir. Mon père était juif, donc forcément cela a compté. Ma mère a connu la guerre parce que son père était l’un des chefs de la résistance dans le sud de la France. C’était une famille catholique. L’histoire de mes parents faisait que ce qu’ils voulaient avant tout, c’était que nous, ma sœur et moi, on ne vive pas ce qu’ils ont vécu, et qu’on soit comblés. Ils nous ont gâtés, car ils voulaient qu’on soit le plus heureux possible.
Le côté négatif est qu’à cause de cela – cependant, mai 68 nous a sauvé par rapport à ce risque – ils voulaient tellement nous gâter qu’ils auraient sans doute fini par nous étouffer, et on ne serait jamais partis de la maison. Mai 68 nous a libéré de cela, mais ça a dû être horrible pour eux. Ils se considéraient comme des parents exemplaires, et l’étaient à bien des titres. Ils ont dû trouver tout à fait injuste que des jeunes petits cons, à qui ils avaient tout donné, descendent dans la rue en disant “La famille, c’est pourri ! …” Forcément, ils n’ont pas dû vivre ça très bien.
Je crois que la valeur essentielle qu’ils nous ont transmise, c’est celle de la tolérance, le rapport à l’autre. C’est compliqué lorsqu’on est Français, parce que par définition, on a notre ADN qui fait qu’on sait tout sur tout, qu’on a toujours raison, qu’on a réponse à tout : on est insupportable d’arrogance. On ne se rend compte de ça que lorsque l'on part vivre à l’étranger.
Quand on est Français et qu’on vit à l’étranger, on découvre ce que sont vraiment les Français. Les Français sont insupportables. Ils passent leur temps à faire la leçon aux autres. Ce que j’ai appris au cours de ces dizaines d’années d’expériences, c’est d’être un peu plus modeste, un peu plus humble, de comprendre qu’il y a beaucoup de gens qui ne pensent pas comme les Français, et que peut être qu’ils n’ont pas tort, en tout cas, que c’est comme ça, et qu’il faut en tenir compte, que le but du monde n’est pas de devenir français, que quand on veut la construction européenne ce n’est pas pour faire une grosse France.
Tout cela réside dans le fait d’accepter l’autre, même si cela vous agace, même si vous considérez qu’en France ce n’est pas comme cela. C’est vrai que ce n’est pas comme ça, mais ce n’est pas grave. C’est compliqué, ça prend du temps de se dire que l’on ne peut pas être la norme. Ce que j’ai appris : avec le temps, l’expérience, avec mon métier de journaliste – je me suis baladé un peu partout – c’est que l’on peut vivre autrement, qu’il n’y avait pas tant de valeurs à donner en disant “mais nous en France, c’est différent ! “. Bah oui, en France, c’est différent, point barre. C’est pour cela que le pays dans lequel on est, à l’étranger, ne s’appelle pas la France : c’est justement parce que c’est différent, ce n’est pas plus mal.
Qu’est-ce que vous avez retenu de votre éducation donnée par l’école ?
Je n’ai pas de souvenirs extraordinaires de l’école. J’étais un élève moyen, sans doute. J’essayais de suivre. Il y a le côté inconscient, car je n’ai pas de souvenir de mes six ou huit premières années, alors que je suis allé à l’école, et j’y ai appris des choses. Bien sûr, j’ai appris des bases à l’école, cependant je considère que l’essentiel des choses que je connais provient d’en dehors.
Quand on était au lycée, on disait souvent “on apprend plus de choses en assemblée générale lors d’une grève, que dans un cours”. C’était un peu exagéré, et c’était une excuse pour sécher les cours, mais ce n’était pas complètement faux non plus. Dans ces assemblées générales où l’on racontait beaucoup de bêtises, on apprenait aussi à être ensemble, à écouter les autres, à s’aimer les uns les autres, ou même à se séduire. On apprenait la vie.
Cela ne s’apprenait pas simplement dans le livre d’histoire. On peut apprendre le livre d’histoire sans aller en cours, chez soi. Je suis par la suite devenu professeur d’histoire, donc j’ai appris aussi l’histoire en fac, et puis tout en étant professeur. Cependant, j’ai surtout appris la vie par mon métier, tous les jours.
Le but de la vie, c’est de se coucher moins con que ce qu’on s’est réveillé le matin. Je dis ça, parce que j’ai eu un bol formidable toute ma vie, j’ai eu l’impression de pouvoir le faire. Tous les jours, lorsqu’on a une idée préconçue qui se déconstruit dans la journée par une nouvelle chose que vous avez vécue, c’est formidable ! C’est une idée reçue que vous arrivez à déconstruire, et vous repartez sur une nouvelle base. Heureusement que l’on ne sait pas tout à vingt ans, car on n’aurait rien d’autre à faire que d’attendre le cimetière.
Personnalité : Y a-t-il un trait de votre caractère qui est une conséquence de votre vécu durant votre enfance ?
Je pense que le principal trait de mon caractère est la tolérance. L’idée que l’on respecte l’autre. Je dirais aussi la gentillesse est quelque chose aussi qui me décrit. Mes parents étaient gentils. Mon père est décédé et ma mère vit encore. Fondamentalement, c’étaient des gens gentils, qui nous ont donné beaucoup d’affection, beaucoup de gentillesse, donc forcément, quelque part, j’en ai hérité. Je pense que ce que l’on fait de mieux dans la vie, c’est d’avoir des enfants. Évidemment que la gentillesse, l’affection, sont des choses extrêmement importantes pour moi. J’essaie de transmettre ça.
Si l’on n’aime pas l’autre, les guerres dureront longtemps. Je veux dire par là que fondamentalement, c’est très facile de haïr les autres. C’est très compliqué d’aimer les autres. Le plus important, c’est d’aimer les gens. N’importe quel con peut haïr. C’est un travail de tous les jours d’aimer les autres : il faut se forcer, faire des sacrifices, il faut accepter de ne pas avoir toujours raison, accepter le compromis, les défauts, accepter l’humilité.
Les gens disent souvent que je suis dans la blague. Je suis beaucoup dans la dérision. Il y a deux aspects dans la dérision. Il y a le côté bonne humeur, on aime bien blaguer… Cependant, il y a aussi un autre côté qui est une face plus obscure et à laquelle je n’échappe pas. C’est aussi une façon de faire passer certaines douleurs, un certain pessimisme.
Par moments, du fait de mon boulot, lorsque je rentre des terrains de guerre, ou des terrains de conflits, j’utilise cette dérision, car l’on ramène forcément à la maison une partie du reportage tourné. On ne repart pas indemne des violences qu’on a pu voir. À ces moments-là, j’ai un coup de blues. À un moment donné, je ne me dis plus que ce sont les uns qui ont raison contre les autres, mais que j’ai forcément des doutes sur la nature humaine, sur pourquoi, finalement, on aime faire la guerre.
Au Proche-Orient, au bout d’un moment, on ne sait plus si ce sont les Palestiniens qui ont raison ou si ce sont les Israéliens. On finit par se dire, même si on a tort, qu’il n’y en a pas un pour racheter l’autre, que finalement, la guerre leur plaît bien, car en soixante-dix ans, ils n’ont pas réussi à en sortir.
J’ai quelques fois un petit coup de blues. Avoir recours à la blague permet d’évacuer cela. Il m’arrive d’être extrêmement sombre. Ce n’est pas forcément facile d’être un grand reporter. Je dois être comme ça du fait de ma nature aussi.
Transmission : Quelles choses pensez-vous avoir transmis à vos enfants de votre propre éducation et lesquelles sont différentes ?
Avec ma femme – elle est également une soixante-huitarde, même si elle n’avait que treize ans en soixante-huit – on a essayé de transmettre ce que nous avaient transmis nos parents respectifs, c’est-à-dire l’affection, par exemple. Évidemment, étant des gosses de soixante-huit, on a été plus ouverts : plus ouverts sur la vie sexuelle, sur les rapports à l’autre, on a donné une éducation moins autoritaire, car mai 68, c’est aussi un peu anti-autoritaire.
Bien sûr, on savait qu’il fallait garder des repères pour les enfants : qu’il y a un père, une mère, qu’on ne fait pas n’importe quoi à la maison, qu’on donne une certaine correction, qu’il faut bien se tenir… Tout cela avec un certain recul. On s’est dit par exemple que les gosses devaient aller plus loin dans les études, mais pas au détriment de leur bien-être. Bien sûr, il faut que les gosses aient des bons résultats, mais il faut aussi qu’ils s’y sentent bien, que cela leur plaise.
On considérait qu’on ne va pas à l’école à la schlague, avec le risque qu’à un moment donné, l’enfant fasse un burn-out à l’école, ce qui est déjà arrivé pour certains. Ce n’est pas la peine de mener les gosses jusqu’à épuisement. Le but de l’école, c’est aussi que les élèves soient bien. D’une manière générale – une chose qu’on a gardé de soixante-huit – il faut que les gens se sentent bien dans leur corps.
On n’est pas tous obligés de faire l’ENA. On doit aller le plus loin possible en fonction de ses capacités et de son ressenti. Il n’y a pas de sot-métier. Ce qu’il faut, c’est faire un métier qui soit passionnant, réussir à trouver sa voie, et savoir que les métiers peuvent changer, évoluer, qu’on peut en changer. L’essentiel, c’est de se dire ” je me suis senti bien”. On peut être soutenu par les parents, cependant ce ne sont pas eux qui ont choisi, mais nous.
C’est compliqué tout cela, car il n’y a pas de recette. On a eu trois gosses. A priori, on les élève tous de la même façon, mais il faut prendre en compte qu’ils sont tous différents. Chacun est unique. Ce qui va marcher pour l’un, ne va pas marcher pour l’autre. Puis, lorsque l'un marchera bien, l’autre ne suivra pas forcément. C’est un mouvement permanent. Ce n’est jamais gagné. On a essayé modestement de naviguer comme avaient fait nos parents, mais ils avaient peut-être des idées plus tranchées parce qu’ils venaient de sortir de la guerre et ils savaient au moins ce qu’ils ne voulaient pas. Ce n’était pas le cas pour nous. On a essayé de naviguer avec une éducation qui soit à la fois réelle, mais qui reste aussi anti-autoritaire.
Je ne sais pas si on a réussi à transmettre ce que l’on voulait. Ce sont les enfants qui pourraient y répondre.
On n’est pas sur un pied d’égalité avec ma femme. Elle a été prof toute sa vie, alors que moi, je ne l'ai été qu’au début. À partir du moment où j’ai fait le métier de journaliste, j’ai moins aidé dans l’éducation des gosses qu’elle. J’ai été moins présent qu’elle. Sans doute que les enfants en ont soufferts. C’était plus simple pour ma femme d’être avec eux que pour moi. Comme par hasard, c’est une femme, c’est-elle qui s’est “sacrifiée” par rapport à moi. On retrouve cette relation déséquilibrée entre les hommes et les femmes. J’ai essayé d’être présent, mais évidemment, je l’ai été bien moins qu’elle.
Anecdotes : Avez-vous un souvenir, une anecdote de votre enfance à raconter ?
Ce que je vais vous raconter vous donnera un peu une idée de la “fermeté” de mes parents lorsque j’étais petit.
La première fois où je suis allé à l’école : je devais avoir trois ans, j’ai pleuré, comme tous les gosses. Je ne comprenais pas bien ce qu’il se passait. Puis, lorsque je suis ressorti de l’école le soir, ma mère m’a gardé avec elle pendant trois ans. Elle ne m’a jamais ramené à l’école maternelle, car j’avais pleuré. Elle ne voulait pas que je sois malheureux.
Puis, j’ai des souvenirs de lorsque j’ai dû vraiment y aller et y rester : j’avais six ans. Elle m’a dit “je t’attends là”. Je suis rentré dans la classe et je regardais la porte de la classe en imaginant qu’elle était derrière. Je pensais qu’elle m’avait attendu durant deux ou trois heures. Effectivement, lorsque cela a sonné elle était là, donc elle n’avait pas bougé. Cela me rassurait. Pour dire que j’ai souffert…
Pour conclure tout cela, comme je disais tout à l’heure, je pense que l’on peut avoir de la chance dans la vie, mais je pense aussi qu’il faut la susciter. Bien sûr, c’est lié à ma formation, à mon histoire, à ma famille, mais je suis un mec très souvent content, qui prend la vie du bon côté, qui a pris des baffes comme tout le monde aussi, mais j’ai tout de même réussi à garder essentiellement des souvenirs positifs.
Pour mon métier de journaliste, après un peu plus de trente ans de carte de presse, je ne suis jamais allé au bureau en traînant des pieds, avec la boule au ventre, l’angoisse… J’ai toujours été content de venir, sachant que j’allais oui ou non me balader, que j’allais peut-être rencontrer du monde. J’ai toujours cherché, là où j’étais, à recréer des liens de solidarité, d’amitié, de déconnade, de rigolade. Je créais les liens du bien vivre ensemble.
Lorsqu’on me dit “ouais, mais tu as eu du bol.” c’est vrai, cependant je crois que je suis également allé le chercher. Je pense que ce sont aussi des traits de caractère. Les gens qui sont des emmerdeurs et des râleurs permanents ont aussi créés cela, bien que quelques fois, c’est la faute à pas de chance.
Quand on est un emmerdeur, c’est sûr qu’on a plus du mal à avoir des copains. C’est un état d’esprit. Je crois que je tiens cela de ma mère. Elle est une éternelle optimiste, elle est toujours contente.
Pour aller plus loin :
L’entretien a été réalisé en partenariat avec Notre passé d’aujourd’hui, projet qui porte des valeurs semblables à celles d’Entoureo.
Dans le cadre de son projet de livre en cours d’écriture depuis 2018, intitulé Notre passé d’aujourd’hui, Rosemitha Pimont, âgée de 20 ans, a réalisé une centaine d’interviews pour recueillir une multitude d’histoires de vie. Son objectif est de raviver, à travers six questions, les souvenirs de notre enfance, les caractéristiques de notre éducation, afin de voir l’impact de notre passé sur notre personnalité, notre présent.
Les personnes interviewées sont âgées de 15 à 101 ans, proviennent des quatre coins du monde et sont de milieux socioculturels divers. Une émission de radio sous le nom de Notre passé d’aujourd’hui, issue du même projet, est déjà disponible.