Dans Récit d’enfance : leur passé d’aujourd’hui, nous partons à la rencontre de personnes pour les questionner sur leur enfance et leur éducation. Au travers de six questions simples, nous avons interrogé plusieurs dizaines d’hommes et de femmes. L’occasion, à chaque entretien, de découvrir le passé de l’invité et son influence sur son présent.
Aujourd’hui, nous rencontrons Jeanne – 92 ans. Elle nous raconte son enfance marquée par la mort de sa mère et la place du scoutisme dans sa vie : cela la sort de la monotonie de son quotidien. Elle nous explique aussi pourquoi le don de soi est important.
Les entretiens sont retranscrits dans leur intégralité : nous avons pris le parti de conserver les mots choisis par les narrateurs… et parfois leur franc-parler !
Jeanne – 92 ans
5 mots : Quels sont les cinq mots qui décrivent votre enfance, et pourquoi ?
Mon enfance… Monotone parce que j’étais toute seule. Le dimanche, c’était la promenade entre papa et maman. Ou sinon, je courais sur les bords de la route. Cela n’a pas d’envergure : c’est monotone. On ne côtoyait pas les autres.
À partir de mes dix ans, je ne vivais qu’avec mon père, car ma mère était décédée… C’était relativement triste. J’ai été élevée sans élan.
Je vivais dans un gros bourg : c’était la campagne sans être au milieu des champs. Il y avait le médecin, le pharmacien… Mais c’était quand même assez resserré.
Le dernier mot sera scoutisme, car cela a marqué mon enfance. J’en ai fait partie grâce à un jeune homme, qui deviendra plus tard mon mari.
Le scoutisme a été ma vie ! J’ai débuté à Argentons-sur-Creuse puis j’ai poursuivi à Limoge. C’était du scotisme catholique et j’ai été très orientée vers cette partie-là.
J’ai vécu le scoutisme d’une façon extraordinaire. J’ai été cheftaine des louveteaux. Le jeune homme en question était chef scout, il était routier. Tout cela m’a emballé… Autant, mon enfance a été très monotone, même triste. Autant, après quinze ans, quand je suis rentrée dans le scoutisme, alors là, je m’y suis donnée à fond.
Regret : Est-ce qu’il y a une chose que vous auriez voulu changer à votre enfance ?
J’ai vécu la guerre, sans perdre quelqu’un, mais je l’ai vécue. Argentons-sur-Creuse a connu des passages très pénibles. En plus, on vivait dans un quartier chaud. Cependant, on n’a rien eu.
Mon père avait fait la guerre de 14 et a tout de même été mobilisé à celle-ci pour aller garder les voies de chemin de fer et les ponts. À l’époque, je passais le brevet : j’étais toute seule avec mon père dans une grande maison isolée.
Je n’étais pas peureuse à ce moment-là, alors que maintenant si. À l’époque, on n’était pas peureux, car on n’avait pas de radio ni de télé : on ne connaissait pas tous les crimes qu’il y avait, on n’était pas forcément au courant de l’actualité. De nos jours, c’est difficile d’y échapper.
Éducation : Quelle critique positive et/ou négative pouvez-vous faire de votre éducation ?
Dans mon enfance, je suis allée dans un établissement religieux. J’ai donc eu une éducation assez religieuse. Sans accros, ni d’un côté, ni de l’autre : tout était calme, en dehors de la guerre qui était à notre porte.
Vu que c’était une école religieuse, on faisait la prière. Il y avait la chapelle à côté : on y allait une fois par semaine pour se confesser. Pour les confessions, on devait écrire sur un papier ce qu’on avait à dire. “J’ai désobéi. J’ai menti… ”. Enfin des choses que l’on pouvait faire lorsqu’on était enfant.
Personnalité : Y a-t-il un trait de votre caractère qui est une conséquence de votre vécu durant votre enfance ?
J’ai un caractère avec un grand C. Est-ce que j’ai mauvais caractère ? Ce n’est peut-être pas le mot.
J’ai besoin de donner. J’ai besoin de me donner MOI, absolument. Il faut que je fasse des choses pour les autres. Par exemple, actuellement, je fais des couvertures pour l’armée du salut. Des couvertures qu’ils vont donner l’hiver aux pauvres types qui couchent sous les ponts… Le scoutisme, c’est donner ! J’ai continué dans cette voie.
Ici, à la maison de retraite, il y a des moments où, quand on veut faire quelque chose, on peut vous empêcher de le faire, et dans ce cas-là, je deviens mauvaise, car cela ne me convient pas du tout. Il faut que je fasse quelque chose, que je sois active : c’est un besoin. Je pense que c’est lié au scoutisme, car en principe, c’est donner : pas faire l’aumône, mais donner de soi.
Transmission : Quelles choses pensez-vous avoir transmis à vos enfants de votre propre éducation et lesquelles sont différentes ?
Aucun de mes enfants n’a continué dans la religion. Au point de vue de leur situation, ils en ont tous les quatre une correcte : ils ont fait des études bonnes et très longues.
Il n'y a aucune comparaison entre mon éducation et celle de mes enfants qui ont des situations maintenant très correctes, qui ont fait des études. Je ne dis pas que je n’ai pas fait d’étude, mais elles étaient moins longues.
Tout d’abord, j’ai passé mon brevet, puis j’ai été trop jeune pour rentrer à l’école d’assistante sociale. J’ai donné des cours avant de pouvoir rentrer à l’école d’assistante sociale de Châteauroux, et j’ai également fait des stages hospitaliers : cela m’a beaucoup plu. Mon activité était infirmière et assistante sociale. Alors là, ce métier, à mon époque, c’était quelque chose de formidable.
Je faisais ce métier à vélo parce qu’il n’existait pas d’autres choses que ça. J’allais faire des enquêtes à vélo. Je pouvais aller rencontrer des bonhommes pour leur dire que si leurs enfants n’allaient pas à l’école, que si cela continuait comme ça, je viendrais les rechercher… Ce sont des paroles que l’on n’entend plus maintenant.
J’ai plus aimé mon métier d’assistance sociale qu’infirmière. J’ai fait les deux métiers, car après mes études, la première année était mixte. C’est l’aspect médical qui m’a intéressée. Mon mari était médecin : enfin, il était étudiant à ce moment-là.
Lorsque j’ai voulu faire une deuxième année d’école d’infirmière, j’ai dû aller à Limoge pour le faire, parce que je ne pouvais pas le faire à Châteauroux. À Limoge, je me suis retrouvée dans une année avec des assistantes sociales, c’était l’école de la croix rouge. Cela m’a beaucoup plu, et j’ai finalement continué sur cette voie-là plutôt que de faire infirmière. J’ai connu un peu plus le jeune homme qui était en école de médecine. Nous nous sommes fiancés. Nous nous sommes mariés. Il n’avait pas fini ses études. Alors, j'ai travaillé pour apporter un revenu.
Dans les similitudes, je sais qu’il y a une de mes filles qui, tout comme moi, donne beaucoup de sa personne. Puis les autres aussi… J’ai trois filles et un garçon. Mes trois filles sont très généreuses. Généreuse, non en donnant l’aumône, mais en donnant de leur personne, en aidant les autres. Ma plus grande l’est plus particulièrement. Elle a maintenant soixante ans et est aussi à la retraite.
Je suis fière de mes enfants.
Anecdotes : Avez-vous un souvenir, une anecdote de votre enfance à raconter ?
Je n’ai pas d’anecdote à vous raconter de mon enfance, car cela finit par la mort de maman.
Tout est assombri par ça lorsque je me projette dans mon enfance, également par le fait d’être enfant unique. Par exemple, j’observe que mes enfants se téléphonent souvent pour se raconter telle ou telle chose : il y a toujours un lien entre eux, ils partagent des choses alors qu’en étant enfant unique, on ne peut pas faire cela.
Je trouve que la vie d’autrefois était plus riche que maintenant. Elle était plus riche en générosité, en chaleur humaine. Je suis déçue par rapport à ça.
Pour aller plus loin :
L’entretien a été réalisé en partenariat avec Notre passé d’aujourd’hui, projet qui porte des valeurs semblables à celles d’Entoureo.
Dans le cadre de son projet de livre en cours d’écriture depuis 2018, intitulé Notre passé d’aujourd’hui, Rosemitha Pimont, âgée de 20 ans, a réalisé une centaine d’interviews pour recueillir une multitude d’histoires de vie. Son objectif est de raviver, à travers six questions, les souvenirs de notre enfance, les caractéristiques de notre éducation, afin de voir l’impact de notre passé sur notre personnalité, notre présent.
Les personnes interviewées sont âgées de 15 à 101 ans, proviennent des quatre coins du monde et sont de milieux socioculturels divers. Une émission de radio sous le nom de Notre passé d’aujourd’hui, issue du même projet, est déjà disponible.